CLÉS POUR LA CHINE (*), par François Leclerc

Billet invité.

Dans la crainte qu’elle soit chaotique, en raison d’une trop rapide décélération de la croissance, la transition chinoise en cours alimente la fébrilité des marchés financiers mondiaux. Quelle dégringolade en si peu de temps, si l’on se souvient qu’elle était censée tirer la croissance mondiale vers le haut  ! Suffira-t-il pour la stopper d’affirmer que « les prédictions sur l’atterrissage soi-disant brutal vont très certainement échouer. Alors s’il vous plaît, que tout le monde se calme, cette possibilité n’existe pas », comme l’a déclaré devant l’Assemblée nationale populaire chinoise Xu Shaoshi, le président de l’agence de planification ?

Occasion de faire le point, le Parti-État va faire adopter par le parlement le 13ème plan quinquennal du pays. « En analysant tous les facteurs, nous constatons que cette année les difficultés seront plus nombreuses et plus grandes, et les défis plus redoutables, aussi devons-nous nous préparer à livrer un dur combat », a insisté le premier ministre Li Keqiang en le présentant. L’économie mondiale connaissant une « reprise molle », il s’attend à ce que « les pressions à la baisse sur l’économie s’accentuent » en Chine. Constatation pas réjouissante à la base, le secteur des services est loin de prendre le relais d’une économie dont les moteurs sont à bout de souffle, et la transition patine.

Qu’observe-t-on ? L’activité manufacturière se contracte, de colossales capacités de surproduction sont enregistrées, le commerce extérieur faiblit, et les investissements dans l’immobilier – à forte contribution au PIB – ont participé à la création d’une bulle financière. Couronnant le tout, la croissance continue de décroitre (dont le taux est trop manipulé pour que l’on s’y attache).

Les entreprises publiques de la sidérurgie et du ciment ploient sous les capacités excédentaires, sans débouchés pour leur production tout en ayant investi à crédit. Les aciéristes chinois produisent désormais davantage que les quatre autres principaux pays producteurs réunis (États-unienne, Inde, Japon et Russie). La Chine a en deux ans produit davantage de ciment que les États-Unis au cours du 20ème siècle  ! Le gouvernement central s’efforce de réduire ces capacités, mais il rencontre l’opposition d’autorités provinciales et municipales soucieuses de préserver l’emploi et leurs recettes fiscales, motivées par leur propre endettement. Ce qui se traduit à l’arrivée par une augmentation des créances douteuses et des défauts de paiement dans le système bancaire.

La mise au chômage de 1,8 million de salariés de l’industrie du charbon et de l’acier a été annoncée, le premier ministre ayant donné comme objectif la fermeture progressive des « entreprises zombies » en décembre dernier. Cinq à six millions de travailleurs seraient visés dans l’immédiat. Des crédits ont toutefois été dégagés afin que cela ne se traduise pas par des troubles sociaux, la hantise des autorités, mais cela ne résout pas le problème des dettes des entreprises qui vont être fermées, qu’elles aient été contractées envers les banques ou d’autres entreprises. À porter ou à liquider, l’héritage est lourd.

Dans cette situation, quelles sont les recettes du 13ème plan ? Le gouvernement aligne des dispositions à court terme, dans le but d’éviter une baisse trop rapide de la croissance et ses incidences sociales, et cherche à plus long terme à stimuler l’économie et lui redonner une assise. Il marie mesures de relance fiscales et incitations monétaires. Sur le premier front, la panoplie des rabais fiscaux offerts aux petites firmes et aux exportateurs sera élargie. Mais surtout, un nouveau programme d’investissement dans les infrastructures sera lancé, financé aux deux tiers par le gouvernement central, et le solde par les collectivités locales. Des centaines de milliards de yuans vont valser pour assurer la construction de nouvelles voies ferrées et de routes, ainsi que des barrages, des oléoducs et en faveur de l’énergie nucléaire. Cela consommera de l’acier et du ciment en surproduction mais ne fera pas avancer la transition vers une économie reposant sur la consommation.

Sur le second front, la banque centrale chinoise est aux manettes sans désemparer. Depuis la fin 2014, elle a baissé six fois ses taux d’intérêt afin de diminuer le coût du crédit, et n’a cessé de réduire le ratio des réserves obligatoires des banques pour le favoriser. Ce qui a maintenu l’activité mais s’est traduit par une envolée des prêts bancaires, de l’endettement et des créances douteuses par ricochet. En tentant d’échapper au ralentissement économique, les dirigeants chinois ont créé une bulle de dettes qui ne cesse d’enfler très rapidement. La croissance escomptée repose sur l’endettement et comme toujours l’investissement.

Mesurée en pourcentage du PIB, la dette publique n’était que de 40,6% fin 2015, mais celle des entreprises représentait déjà 160% du PIB en 2014 et devrait augmenter fortement dans les cinq prochaines années. Additionnées, elles dépassent déjà 200% du PIB aujourd’hui. Ce qui n’empêche pas les PME, ces artisans du développement du marché intérieur, d’être mal servies par les grandes banques publiques, alors que la bourse ne les finance pas comme escompté, laissant dangereusement ce soin au secteur non régulé du shadow banking, qui bénéficie des crédits des banques publiques et de la trésorerie des grandes entreprises, ce qui rend vulnérables ces dernières aux accidents de parcours.

Cette perspective conduit déjà les autorités à autoriser les banques à s’engager sur le chemin de la titrisation de leurs actifs non performants, afin d’en délester au moins partiellement leurs bilans. Avec comme objectif ambitieux de trouver des acheteurs de ces titres sur les marchés internationaux, une fois garantis par du collatéral, à moins qu’ils ne soient plus probablement écoulés auprès des banques et des assureurs du pays après avoir été parés de belles couleurs. Des incidents de parcours sont inévitables.

L’éventualité d’une dépréciation significative du yuan agite en priorité les esprits en raison de ses incidences internationales. Comment interpréter qu’en huit séances successives la valeur de la monnaie chinoise ait diminué de 1,4% par rapport au dollar ? Pour disculper les autorités chinoises d’en avoir été l’instigateur, Zhou Xiaochuan, le gouverneur de la banque centrale (PBoC), a déclaré en ouverture du G20 finances de Shanghai « nous ne laisserons pas des forces spéculatives orienter l’humeur des marchés ». De fait, la PBoC vend massivement des dollars puisés dans ses réserves de devises afin de soutenir le cours du yuan : près de 100 milliards de dollars rien qu’en janvier dernier. Mais le yuan continue de baisser en raison de sorties massives de capitaux qui en voulant se protéger de sa dépréciation l’accentue. Rien que de très supportable pour le moment, les réserves étant estimées à 3.200 milliards de dollars, à condition que cela ne dure pas trop longtemps.

Accepter une dépréciation limitée mais régulière pourrait être une alternative, mais cela n’aurait que des inconvénients et pas d’avantages : sans impact significatif sur le commerce extérieur, cette politique accentuerait les sorties de capitaux et accélérerait la dépréciation progressive du yuan. Frapper un grand coup en le dévaluant de manière significative en une seule fois améliorerait par contre la compétitive des produits chinois, mais aurait des effets dévastateurs sur de nombreux pays et pèserait sur les entreprises chinoises endettées en dollars. Il ne reste donc comme issue que de renforcer les contrôles afin de tenter de maitriser, avec des effets limités, le volume des achats de devises étrangères avec des yuans. Mais une telle politique va à contre-courant des efforts d’internationalisation du yuan, qui se sont dernièrement traduits par son introduction dans le panier des devises sur la base desquelles le cours des droits de tirage spéciaux (DTS), la monnaie de compte du FMI, est calculé. Les marges de manœuvre sont étroites.

Qu’elles portent sur le yuan ou sur l’atterrissage du pays, les incertitudes actuelles ne sont pas prêtes d’être levées. Le vieux système pèse de tout son poids et témoigne d’une grande inertie, tandis que la dynamique dont est porteur le nouveau n’entraine pas l’ensemble de la société, il s’en faut. Le principe « un pays, deux systèmes » de Deng Xiaoping – énoncé dans un autre contexte – trouve son prolongement, deux pays distincts se côtoyant de plus en plus. Effet de cette maladie qui se répand sur la planète, et pas seulement dans les pays émergents.

En fait de transition, l’exemple de l’ex-URSS – dont le modèle économique reposait également sur l’industrie lourde – n’est pas fait pour rassurer, ni les dirigeants occidentaux qui craignent à juste titre les soubresauts de la seconde puissance économique mondiale, ni les autorités chinoises qui serrent en conséquence la vis à titre préventif. Lors de cette session, l’Assemblée nationale populaire va examiner un projet de « cybersécurité » reposant sur la constitution de gigantesques bases de données où seront inscrits les Chinois, destiné à assurer « la stabilité sociale ». Son développement est piloté par un comité dirigé par Xi Jinping, le président chinois, ce qui en dit l’importance.

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(*) Un emprunt à Claude Roy, un homme qui n’était pas dupe, un ami disparu.